« Nous voulons continuer à travailler dans de bonnes conditions »

La FDSEA de Haute-Marne a organisé son assemblée générale le 23 février au lycée agricole de Choignes. Le syndicat est revenu sur l’actualité, marquée par les manifestions agricoles, qui découlent de multiples maux, notamment une baisse de compétitivité et des difficultés à produire.

« L’actualité est brûlante » annonce Sébastien Riottot, en introduction de l’assemblée générale du syndicat. Le président de la FDSEA 52 fait référence aux mobilisations, entamées en novembre dernier avec les panneaux des communes retournés et le rassemblement devant la Préfecture. Les mobilisations se sont poursuivies en janvier avec une action devant la laiterie Savencia à Illoud, puis le blocage des autoroutes à Beauchemin et enfin un rassemblement symbolique à Colombey les Deux Eglises, au pied de la Croix de Lorraine. « Il y a eu plus de 500 actions en France, mobilisant plus de 72 000 agriculteurs. En Haute-Marne nos deux dernières mobilisations ont réuni à chaque fois 300 agriculteurs avec 150 tracteurs. On a montré une unité, il y a eu un bel élan, c’est du jamais vu ! » se félicite Sébastien Riottot. Pour le secrétaire général de la FDSEA, Thierry Lahaye, le blocage des autoroutes haut-marnaises est « certainement la manifestation la plus importante depuis 20 ans, ce qui reflète l’état d’esprit de nos adhérents », en soulignant qu’elle s’est déroulée « dans le respect des biens communs, car le message est plus clair quand une manifestation est calme ».

Ras-le-bol généralisé

D’après la FDSEA ces manifestations sont la traduction d’un « ras-le-bol généralisé ». Sébastien Riottot constate depuis de nombreuses années « une dégradation des conditions de travail, une suradministration, une baisse de compétitivité, bref des difficultés à produire. Une colère s’est installée et a explosé dernièrement. Le monde agricole est confronté à l’absurdité des directives parisiennes et des décideurs ». En premier lieu, le syndicat majoritaire dénonce un revenu plombé par les charges « qui ont explosé ces dernières années », et cite l’augmentation du prix de l’énergie, les normes, les réglementations toujours plus contraignantes, mais aussi le coût de la main d’oeuvre, « l’un des plus élevés au monde ».

Et l’agriculture française doit faire face à d’autres pays « qui ont des moyens de production avec des produits qui sont interdits chez nous. On ne peut pas rivaliser avec cette concurrence déloyale. Soit on interdit les importations, soit on met des taxes en contrepartie » soutient Sébastien Riottot. Profondément européen, il dit « oui à une Europe qui créé des liens, mais non à une Europe qui nous asphyxie avec des règles » et rappelle que « tout ce que nous ne produisons pas nous l’importons ». En France, 50 % des poulets, 25 % de la viande bovine, 70 % des fruits et 30 % des légumes sont importés.

Manque de considération

Le président de la FDSEA constate « un manque de reconnaissance » avec « l’impression de travailler pour pas grand-chose » et des produits agricoles « mal considérés ». Revenant sur la loi Egalim, il observe que malgré deux lois successives, « ça ne va toujours pas assez loin, des indicateurs de coût de production existent, mais personne n’en tient compte ». Pour lui l’un des enjeux importants est le facteur de production : « nous sommes confrontés à une volonté suicidaire de décroissance. Cela se traduit pas des jachères, qui sont des hectares qui ne servent à rien. C’est une aberration totale. Il y a aussi un plan Ecophyto castrateur, car il interdit sans solution de rechange. On ne demande pas à revenir en arrière en ré-autorisant tous les produits phytos, on veut juste une pause ». Face à tous ces maux qui pèsent sur l’agriculture, Sébastien Riottot estime que « les exploitations familiales de taille moyenne vont disparaître, car elles ne sont pas assez rentables », ce qui va davantage compliquer le renouvellement des générations, car « les exploitations sont trop difficiles à transmettre à un jeune pour qu’il puisse en vivre ».

« Nous rabâchons depuis des années que l’agriculture doit être considérée comme une source de solutions économique et sociale » tonne Thierry Lahaye, pour qui « les rémunérations ne sont pas à la hauteur de la pénibilité de notre travail ». Il trouve inadmissible que « l’évolution des réglementations ne prenne jamais en compte l’impact économique sur l’agriculture », en prenant en exemple les dates d’épandages des effluents, « calées en dépit du bon sens ».
Pour lui « la bonne expertise d’une nouvelle mesure est la nôtre, car les véritables experts en matière d’agriculture ce sont les agriculteurs ». Il souligne que l’application des règlementations européennes, comme le Green Deal et les 4 % de jachères, « génèrerait une baisse de 15 à 17 % de la production globale européenne, ce qui inquiète les Etats-Unis du fait du risque du fort déséquilibre des marchés ».
D’autres questions sont soulevées par Thierry Lahaye : « Est-ce que la nouvelle assurance récolte pourra toujours montrer son intérêt dans nos zones intermédiaires ? Quels seront nos moyens de production en terme de produits phytos avec la hausse prévue de taxes et le retrait programmé de matières actives sans solutions alternatives ? Comment la filière bio peut-elle tenir avec des prix aussi bas et des aléas aussi fréquents ? »

Dégâts de gibiers, de grues et de loup

La FDSEA est aussi revenue sur les dossiers spécifiquement locaux, comme le schéma départemental de gestion cynégétique. « Malgré différentes rencontres avec la Fédération des chasseurs et l’administration, nous avons constaté que ni l’un ni l’autre n’ont tenu compte des propositions agricoles et des forestiers. Nous ne voyons dans ce futur schéma aucun changement notable qui pourrait nous faire espérer un changement dans les habitudes de chasse actuelles et donc une diminution des dégâts de gibier » annonce Thierry Lahaye. La FDSEA souhaite des battues administratives pour réduire les populations. « Ce n’est pas à nous de nourrir les sangliers et les grues », ajoute Sébastien Riottot qui précise que les dégâts de grues s’élèvent à plus de 700 000 euros alors que la compensation financière du Conseil régional n’est que de 200 000 euros. « 500 000 euros pour nourrir un troupeau sédentaire ! Si vous voulez des grues, il faut assumer, et assumer c’est payer ! » clame le président.

La problématique du loup a évidemment été évoquée, la Haute-Marne étant le département du Grand Est avec le plus d’attaques en 2023. « Le loup est maintenant durablement installé sur notre territoire, il a fait 44 victimes l’année dernière, c’est beaucoup trop ! » déclare Thierry Lahaye. Pour Sébastien Riottot, l’animal n’est pas seul, « il y a parfois deux attaques en même temps, il faut des prélèvements sinon il y aura une meute et cela deviendra ingérable. C’est une épée de Damoclès pour les éleveurs en activité et les jeunes ne vont plus s’installer. A terme, c’est une filière qui va péricliter à cause du loup ». Le président évoque également les zones Natura 2000, qui représentent 15 000 ha en Haute-Marne : « les décideurs politiques ont envie de sanctuariser les Natura 2000 en y interdisant les produits phytos, sans réflexion aucune. C’est une ligne rouge pour nous, on reste avec la réglementation actuelle. Pas plus, pas moins ». Enfin, Thierry Lahaye est revenu sur les autorisations de retournements de prairies : « il me semble plus intelligent d’inciter au maintien des surfaces herbagères au travers d’une économie saine de nos exploitations que de contraindre avec une réglementation abrupte ». Pour la FDSEA, « l’agriculture est une source de solutions si on ne la cloisonne pas à l’intérieur d’une politique décroissante ».