La préfète Régine Pam s’est déplacée au GAEC de l’Hazelle à Thonnance les Moulins le 6 février pour échanger avec des éleveurs sur la problématique du loup. La représentante de l’État s’est engagée sur plusieurs sujets.
Les associées du GAEC de l’Hazelle Jean-Philippe Bay, Stéphane Guillaumée et Jérôme Martin, ont accueilli sur leur exploitation Régine Pam, préfète de la Haute-Marne, Xavier Logerot, directeur de la DDT et Marc Poulot, président de la Chambre d’agriculture. Ce lieu n’était pas choisi au hasard, « Nous sommes sur un secteur où le loup est en présence permanente avec des attaques qui se répètent », précise Xavier Logerot.
La première attaque de loup sur le secteur date de 2014. Le GAEC de l’Hazelle en a encore été victime le 30 novembre dernier avec deux brebis retrouvées mortes à 100 mètres d’une maison. « C’était dans un parc très protégé, avec une double clôture et des fils électriques. On est désarmés, on a des aides pour obtenir du matériel, mais s’équiper n’évite pas les attaques. On a toujours peur, le matin la hantise c’est de trouver des cadavres » confie Jean-Philippe Bay. Entre le temps passé à faire le tour des clôtures et compter les animaux, l’éleveur affirme qu’en été il passe « plus de temps avec les moutons qu’avec les vaches laitières, ça devrait être l’inverse normalement ».
Combien de loups ?
L’OFB a comptabilisé un seul loup en Haute-Marne, mais la nuit du 29 mai 2023, des attaques ont eu lieu simultanément à Ligny en Barrois, Noncourt et Serqueux. Pour Claude Malingre, président FDSEA du canton de Poissons, il n’y a pas de doute : « le loup n’est plus tout seul dans le département ». Samuel Guénin, en charge du dossier loup à la FDSEA, regrette que l’OFB ne fasse « pas d’analyses systématiques en cas d’attaque et très peu de prélèvements. De plus les analyses prennent énormément de temps ». Enfin, il déplore le manque d’échanges avec l’OFB et demande « un retour rapide des expertises auprès des éleveurs ».
Marie Lallemand, chargée de mission transition agro-écologique à la DDT, explique que « le délai peut être plus long quand il y a un doute sur l’origine de l’attaque, car on sollicite quelqu’un au niveau régional ».
Elle précise que lorsque la cause est indéterminée, l’éleveur est indemnisé. De son côté, Régine Pam s’engage à faire de la médiation : « Nous avons des marges de progrès sur la question de la communication entre l’OFB et les agriculteurs, c’est certain. Il faut travailler sur la relation entre les uns et les autres ».
Complexité administrative
Sur le département seulement 4 éleveurs ont demandé une autorisation de tirs de défense simple. Les éleveurs dénoncent une « complexité administrative », car le loup doit se trouver à l’intérieur du parc protégé, de nuit, et il faut l’éclairer avec une lampe de poche avant de pouvoir tirer. La Préfète reconnaît que « l’arrêté préfectoral n’est pas adapté, car les conditions ne sont pas idéales ». Elle compte « trouver des terrains d’entente pour arriver à réduire la paperasse administrative » et « organiser une réponse adaptée aux modes d’élevage ».
85 % des élevages de Haute-Marne sont situés en cercle 1 ou 2 (éligibles aux aides à la protection), mais cela reste insuffisant pour Samuel Guénin, car « 15 % des élevages restent sur le bord de la route. Certains veulent se protéger, mais ne peuvent pas, car ils sont en cercle 3 ». Mais installer des clôtures n’est pas si simple.
Comme l’explique Jean Philippe Bay « Si on veut protéger toutes nos parcelles, il nous faudrait 43 km de clôtures. Il faut débroussailler le terrain, poser les clôtures et les entretenir, c’est ingérable en termes de main d’œuvre. Ce système n’est pas adapté à nos modes d’élevages ».
Samuel Guénin ajoute : « On nous conseille parfois d’installer des parcs de nuit, mais c’est inconcevable, car souvent nos animaux ne mangent que la nuit, surtout en période estivale ». Julie Belargent, éleveuse à Serqueux, rappelle que « les clôtures coutent très cher, et que les aides prennent en compte les piquets et le fil électrique, mais pas le grillage alors que c’est ce qui coute le plus cher. Quand on dit que l’État nous accompagne, ce n’est que dans une certaine limite ».
Trop de contraintes
Pour Pierre Édouard Brutel, responsable de la section ovine des JA, les aides à la protection sont versées trop tardivement : « Les éleveurs doivent d’abord acheter les clôtures, mais sans savoir quand la subvention sera versée, certains attendent 6 mois. Il faut réduire ce délai. On a des jeunes qui s’installent et qui veulent faire une demande, mais qui ne peuvent pas, car l’investissement est trop important. De plus c’est un investissement qui n’apportera aucune valeur ajoutée à la structure, c’est une contrainte, une charge ».
David Thenail, directeur de la Cobevim, pointe la complexité à réaliser un dossier de demande d’aides. « Si la Chambre d’agriculture et la Cobevim n’avaient pas aidé les éleveurs à faire leurs dossiers, il y en aurait eu très peu ». Selon lui, les attaques de loup « n’incitent pas à installer les jeunes » et font peser le risque de « cessation de l’élevage ovin, particulièrement pour les petits troupeaux ».
Sur le sujet des indemnités, Samuel Guénin indique que « toutes les dégradations indirectes subies par les troupeaux ne sont pas prises en compte ». Il prend en exemple les avortements, la charge de travail supplémentaire ou encore l’impact psychologique sur les éleveurs. Un exploitant ayant subi une attaque sur un de ses veaux explique que depuis ses vaches sont affolées, l’une d’elles refuse même de rentrer en bâtiment.
30 attaques en 2023
Alors que 30 attaques de loup ont été recensées en 2023 en Haute-Marne, Samuel Guénin alerte : « Il y a deux ans 30 attaques de loup ont été constatées en Saône-et-Loire et l’année dernière ce chiffre est passé à 200. Il faut qu’on facilite le droit de tir à nos éleveurs tout en étant le plus possible dans la légalité ». Régine Pam souligne qu’elle attend « suffisamment d’éléments pour monter un dossier d’autorisation des tirs de prélèvement, qui je l’espère apportera une réponse à vos préoccupations ».
« Notre métier c’est élever et pas passer un temps phénoménal à se protéger. Si on pouvait faire juste notre métier, cela nous soulagerait beaucoup. L’espèce est protégée alors que les populations ne cessent de croître et les effectifs à atteindre ne cessent d’augmenter » indique Julie Belargent.
Pierre-Edouard Brutel ajoute : « On nous répète qu’on veut voir des animaux dans les prés, mais le loup cible des animaux qui pâturent toute l’année des surfaces qui sont parfois à défricher. On est sur un acte écologique et on a en face un animal qu’on prétend écologique. On a de la chance que les attaques sont encore très ciblées par rapport à d’autres départements, c’est maintenant qu’il faut réagir. Il ne faut pas attendre le résultat des autres départements qui, de toute façon, n’ont toujours pas trouvé de solution ».
La préfète s’est engagée à mettre en place des groupes de travail associant la DDT, l’OFB, les lieutenants de louveteries, la Chambre d’agriculture et les professionnels agricoles « pour mieux partager les données et faciliter les démarches administratives sur la révision du zonage, la simplification des démarches administratives d’aides à la protection et l’indemnisation, l’aide à l’installation des jeunes éleveurs et les conditions de prélèvement ».