Agriculteurs, attention : faire appel à un auto-entrepreneur pour des travaux agricoles est illégal et dangereux.
Le secteur agricole évolue et la délégation de certaines tâches devient une nécessité pour de nombreux exploitants : moisson, semis, etc. Il est donc tentant de faire appel à un auto-entrepreneur, notamment pour sa souplesse administrative et son coût souvent attractif.
Mais attention : cette solution, en apparence pratique, peut s’avérer illégale et coûteuse.
Le régime du micro-entrepreneur : un statut simplifié… mais encadré
Le statut d’auto-entrepreneur, renommé micro-entrepreneur depuis la loi Pinel de 2016, est un régime simplifié d’entreprise individuelle. Il permet à toute personne de créer facilement une activité professionnelle à but lucratif en bénéficiant de formalités allégées sur les plans administratif, fiscal et social.
Les micro-entrepreneurs déclarent leur chiffre d’affaires chaque mois ou trimestre, sur la base duquel sont calculées leurs cotisations sociales, qu’ils versent à l’URSSAF. Contrairement aux travailleurs agricoles, ils dépendent du régime général de la Sécurité Sociale et sont donc affiliés à la CPAM.
Quelles activités sont autorisées en micro-entreprise ?
Le régime de la micro-entreprise permet d’exercer une large variété d’activités, à condition qu’elles soient commerciales, artisanales ou libérales. Ce statut est conçu pour simplifier la création et la gestion d’une petite activité indépendante dans de nombreux domaines, hors agriculture.
Les activités commerciales regroupent l’achat et la revente de biens ou de marchandises, avec une recherche de bénéfice. Cela inclut par exemple la vente de produits manufacturés, d’objets neufs ou d’occasion.
Les activités artisanales impliquent un savoir-faire manuel et technique. Ce sont notamment les travaux de bâtiment ou de services : maçonnerie, plomberie, électricité, peinture, coiffure, réparation, etc.
Les activités libérales concernent principalement les prestations de service intellectuel ou de conseil : consultant en communication, formateur indépendant, coach, graphiste, conseiller financier, etc.
En plus de ces activités, les micro-entrepreneurs peuvent proposer des services à la personne, réalisés à domicile ou chez le client : garde d’enfants, soutien scolaire, aide à domicile, assistance informatique, petit bricolage, etc.
Attention : même si ce régime est très souple, certaines activités restent strictement interdites, comme les professions de santé, juridiques, immobilières… et bien entendu, les activités agricoles.
Les activités agricoles exclues du régime de la micro-entreprise
Le Code rural, à travers son article L.722-1, établit clairement que les personnes exerçant des activités agricoles à titre indépendant relèvent obligatoirement du régime de protection sociale agricole, géré par la MSA (Mutualité Sociale Agricole).
Cela concerne un large éventail de travaux, tous incompatibles avec le statut de micro-entrepreneur, notamment :
- Les travaux de production animale ou végétale, qu’il s’agisse de semis, récolte, traitements, soins aux animaux, alimentation, traite, etc.
- Les activités de prolongement de la production agricole, comme la transformation, le conditionnement ou la vente directe de produits issus de l’exploitation.
- Les activités agricoles à vocation touristique, telles que les fermes-auberges, les chambres d’hôtes à la ferme ou les campings ruraux.
- Les prestations réalisées par les Entreprises de Travaux Agricoles (ETA), comme le labour, le moissonnage, la tonte de moutons, ou encore l’entretien des cultures, qui relèvent elles aussi du régime MSA.
Aucune de ces activités ne peut être exercée sous le statut d’auto-entrepreneur. Toute personne souhaitant intervenir dans ces domaines doit impérativement s’enregistrer auprès de la MSA et se conformer aux règles spécifiques du régime agricole.
Les prestations agricoles doivent être réalisées par des professionnels : ETA
Seuls les Entrepreneurs de Travaux Agricoles (ETA) disposant du matériel et de personnels et affiliés à la MSA sont autorisés à réaliser des prestations telles que :
- Labour, semis, moisson, tonte, insémination, pédicure bovine…
- Triage et traitement des semences.
- Transport et location de matériel agricole.
Le recours à ces professionnels nécessite un contrat clair précisant les conditions d’exécution et le prix de la prestation.
Quels risques en cas de recours à un auto-entrepreneur ?
Faire appel à un auto-entrepreneur pour exécuter des travaux relevant du secteur agricole n’est pas seulement un choix inapproprié sur le plan administratif : c’est une infraction qui peut entraîner de lourdes conséquences juridiques, sociales et financières pour l’agriculteur.
- Le risque de requalification en contrat de travail
Si l’auto-entrepreneur intervient dans des conditions proches de celles d’un salarié, la relation peut être requalifiée en contrat de travail déguisé. Cette requalification repose sur trois critères cumulatifs : - La fourniture d’un travail (ex. : conduite de tracteur, récolte manuelle, soins aux animaux…).
- Le versement d’une rémunération, même sous forme de facture.
- L’existence d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire une exécution du travail sous l’autorité directe de l’exploitant : horaires imposés, consignes précises,…
Dans une telle situation, l’administration ou les tribunaux considéreront que le travailleur n’est pas un indépendant, mais bien un salarié non déclaré. - Travail dissimulé et redressement de cotisations
La conséquence directe de cette requalification est le travail dissimulé (anciennement appelé travail au noir). L’agriculteur peut alors faire l’objet : - d’un redressement URSSAF ou MSA, avec appels de cotisations sociales rétroactives sur plusieurs années,
- du paiement des salaires, congés payés, heures supplémentaires et indemnités dues au travailleur, comme s’il avait été embauché,
- de sanctions pénales, notamment des amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 € pour une personne physique, et même une peine d’emprisonnement en cas de récidive ou d’abus manifeste,
- d’une interdiction d’aides publiques ou de subventions pour une période déterminée.
Autrement dit, ce qui pouvait sembler une solution pratique à court terme peut rapidement devenir un cauchemar administratif et financier. - Le risque de prêt de main-d’œuvre illicite
Si l’auto-entrepreneur est engagé uniquement pour fournir de la main-d’œuvre, sans matériel, sans autonomie réelle, et sans apporter de valeur ajoutée technique ou organisationnelle, la prestation peut également être requalifiée en prêt de main-d’œuvre illicite.
Ce type de situation est strictement encadré par le Code du travail et est considéré comme illégal, notamment lorsqu’il masque un lien d’emploi déguisé ou vise à contourner les obligations sociales de l’employeur.
L’agriculteur peut alors être tenu responsable d’avoir fait usage d’une main-d’œuvre illégalement mise à disposition, ce qui aggrave encore sa situation juridique. - Responsabilité civile et perte de couverture en cas d’accident
Enfin, si un incident survient pendant l’intervention de l’auto-entrepreneur (accident du travail, blessure, dégradation de matériel, etc.), la situation peut être encore plus délicate : ni l’assurance professionnelle de l’agriculteur ni celle du prestataire ne couvriront les dommages si l’activité exercée n’est pas conforme au statut déclaré.
L’exploitant peut donc se retrouver personnellement responsable, notamment en cas de manquement à l’obligation de sécurité sur son site.
Les bons réflexes à adopter : prévenir plutôt que guérir
Pour éviter toute mauvaise surprise, les exploitants agricoles doivent adopter une démarche rigoureuse lorsqu’ils souhaitent déléguer certaines tâches. Le recours à de la main-d’œuvre extérieure ne s’improvise pas, surtout dans le domaine agricole, fortement encadré par la réglementation.
Avant de signer une quelconque prestation, il est essentiel de vérifier le statut du prestataire. Si les travaux relèvent de la production agricole, de l’élevage, le prestataire doit être affilié à la MSA. Le statut d’auto-entrepreneur est exclu pour ces activités, même si la personne est déclarée ou propose un devis.
Il convient également d’être très vigilant sur l’organisation concrète de la mission. Si le prestataire intervient sans autonomie, sur les horaires de l’exploitant, sous ses directives, avec son matériel, cela peut s’apparenter à une relation de travail salarié, avec les risques de requalification que cela implique.
Pour chaque intervention, il est fortement recommandé de :
- formaliser la relation par un contrat de prestation écrit, clair sur les tâches, la durée, les responsabilités et la rémunération,
- s’assurer que le prestataire dispose de son propre matériel et d’une assurance professionnelle adaptée,
- éviter toute confusion avec un lien de subordination : le prestataire doit rester entièrement autonome dans l’organisation de son travail.
En cas de doute sur le statut d’un intervenant, il ne faut pas hésiter à solliciter la MSA.
En conclusion, la vigilance est de mise
Le monde agricole est en constante évolution, et le recours à des prestataires externes est aujourd’hui une réalité pour de nombreuses exploitations. Toutefois, cette pratique, pour être viable et sécurisée, doit impérativement respecter le cadre légal.
Le statut d’auto-entrepreneur, bien qu’attrayant, ne peut pas être utilisé pour des travaux agricoles. En cas d’infraction, les conséquences peuvent être lourdes : requalification en contrat de travail, redressements sociaux, sanctions pénales, voire responsabilité civile en cas d’accident.
C’est pourquoi il est indispensable d’agir avec prudence, de s’entourer des bons professionnels — affiliés à la MSA — et de formaliser chaque intervention dans les règles.
Vous pouvez vous rapprocher de votre FDSEA pour toute question complémentaire.