François Purseilglee : « le travail dans la Ferme France doit se réorganiser sinon on passera à côté de la souveraineté alimentaire ».

De nouvelles formes d’entreprises agricoles pour de nouveaux défis

Le 11 septembre, à l’occasion des journées de la Lucine à Châteauvillain, François Purseigle, professeur des universités en sociologie, a présenté ses travaux sur l’évolution et les restructurations des entreprises agricoles.

Les travaux du sociologue François Purseigle ont pour finalité de mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans une agriculture française que le grand public imagine encore comme des petites exploitations paysannes. Cette représentation a la vie dure, pourtant la ferme France a changé et se compose d’une grande diversité de producteurs. Cette nostalgie s’oppose à une vision entrepreneuriale de l’agriculture.« Pour trouver des solutions en agriculture, il faut bien caractériser ce qu’il se passe actuellement et éviter de mettre sous le tapis des réalités sociales et économiques » introduit François Purseigle. Selon lui une nouvelle page de l’histoire est en train de s’écrire, estimant que « le salut de l’agriculture familiale passera par de nouvelles façons de produire ».

Eclatement des formes d’organisations

Le nombre d’exploitations agricoles françaises baisse de 2,3 % par an, les chefs d’exploitations étaient moins de 400 000 en 2020. L’élevage est particulièrement touché : -31 % d’élevages entre 2010 et 2020, soit -64 000 exploitations. Alors qu’il y avait 250 000 éleveurs laitiers en 1980, ils pourraient être entre 30 000 et 40 000 d’ici dix ans si le rythme se poursuit.Seulement 19 % des chefs d’exploitation ont leur conjoint qui travaille sur l’exploitation. « C’est la fin de l’agriculture conjugale », résume François Purseigle, qui pointe « l’extrême fragilité de l’exploitation familiale française ». Entre 2010 et 2020 les actifs permanents familiaux ont baissé de 55 %, au profit des salariés agricoles qui sont 933 000 aujourd’hui. « Le travail dans la Ferme France doit se réorganiser sinon on passera à côté de la souveraineté alimentaire », prévient le sociologue. Ce changement est en cours, comme en témoigne la forte augmentation des salariés entre 2003 et 2016 dans les groupements d’employeurs (+249 %) et les entreprises de travaux agricoles (+71 %).Constatant que 50 % des exploitants auront l’âge de la retraite d’ici deux ans et que la Ferme France compte annuellement 20 000 départs pour 13 000 installations (dont seulement 4800 aidées), François Purseigle estime qu’on ne parviendra pas au renouvellement des générations en agriculture.« Le salut de l’exploitation française et européenne passera par la capacité des chefs agriculteurs à mobiliser des actifs non familiaux et trouver des dispositifs pour faire rester les jeunes sur la ferme ».

Entre « faire ensemble »et « faire faire »

L’agriculture familiale renvoie à des affaires de famille qui sont bien souvent de plus en plus complexes. « L’ambition économique bute souvent sur une ambition patrimoniale qui prend le pas. Aujourd’hui, très souvent dans les familles agricoles, on ne fait plus de cadeau à celui qui veut reprendre l’exploitation. Le défi de l’agriculture française est de remettre des familles agricoles au service de ce projet économique en mobilisant d’autres solutions », observe le chercheur.L’agriculture française a été caractérisée par le « faire ensemble », en famille ou en CUMA, mais cela n’est plus toujours possible. Pour le sociologue, le « faire faire » doit s’articuler à de nouvelles façons de « faire ensemble », car la production agricole est une activité de service comme une autre.Les petites et très petites exploitations sont celles qui disparaissent le plus (-37 % de fermes familiales ou avec un exploitant seul, de 2000 à 2016), en particulier celles qui ont massivement recours à du travail familial. A l’inverse, les fermes en progression sont celles ayant recours à la délégation ou la sous-traitance d’activité (+53 % en 16 ans). 60 % des exploitations françaises sont en société (+79 % d’exploitants associés de 2000 à 2016) et 10 % des chefs d’exploitations sont même dans plusieurs sociétés de production agricole. « Cela ajoute de la complexité, l’un des défis est d’accompagner l’agriculteur dans la gestion de plusieurs entités qui sont parfois distantes de plusieurs kilomètres. Accompagner pour faire face à une exigence de rationalisation beaucoup plus grande », avance le sociologue.Le travail à la ferme est de plus en plus pris en charge par autrui. En Bretagne, 18 % des élevages délèguent l’intégralité des travaux des grandes cultures. « On voit se développer des formes de prise en charge du travail, car les agriculteurs sont souvent seuls. Il faudra de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour pérenniser les exploitations », annonce François Purseigle. Des schémas qui sont à l’oeuvre en Argentine et au Brésil depuis une quarantaine d’années.Hypothèses d’évolutionLes évolutions des exploitations agricoles se feront en réponse à des défis internes (gestion de la main d’oeuvre, transmission/installation) et des défis externes (marchés, politiques publiques). Des évolutions qui doivent aussi faire face à des incertitudes croissantes (prix, aléas climatiques…) et déboucheront donc sur de nouveaux horizons de prises de décision.Les objectifs reposeront sur la réorganisation du travail, la création/redistribution de la valeur par la multi-spécialisation et de nouvelles formes d’insertion dans les métiers.Ainsi, François Purseigle distingue trois grandes stratégies : l’association (de nouveaux collectifs ou partenariats pour une gouvernance partagée), l’insertion (gouvernance hiérarchique avec intégration de nouveaux métiers et de nouvelles fonctions salariales au sein de l’exploitation) et la délégation (gouvernance déléguée, totale ou partielle d’un atelier).Les compétences seront également un défi à relever. « Pas que des compétences agronomiques, il y a aussi la capacité à s’organiser et à adapter les contours de son exploitation. Les fermes vont devoir faire face à des changements profonds, mais cela ouvre de belles perspectives », conclut le professeur des universités.