A la session de la Chambre d’agriculture l’économiste Thierry Pouch est revenu sur les nombreuses difficultés que traverse l’agriculture. Des risques climatiques, économiques, sociétaux, mais aussi géopolitiques avec les accords de libre échange entre l’Europe et le Mercosur.
Depuis un an le monde agricole, en France et en Europe, connaît un mouvement de contestation profond. « Bien plus qu’une crise conjoncturelle, il s’agit d’une crise structurelle avec une série de chocs inédits comme la pandémie de covid et la guerre en Ukraine. Personne ne pouvait anticiper », analyse Thierry Pouch, économiste.
En 2015 la Russie est devenue le premier exportateur de blé tendre mondial, essentiellement vers l’Egypte et la Turquie. Le conflit en Ukraine a entrainé une flambée du prix du blé tendre, confirmant la forte volatilité du marché international. Les cours sont ensuite retombés car l’offre est particulièrement abondante, la récolte mondiale de blé a même atteint un record en 2024.
Cette année la récolte de blé tendre en France est la plus faible depuis 1986, -25 % par rapport à la moyenne 2019-2023. Toutes les céréales affichent de mauvais rendements, sauf le maïs. Notre pays voit ses parts à l’exportation reculer, passant du deuxième rang au cinquième rang mondial. Depuis 2012, l’essentiel de notre excédent agroalimentaire n’est plus a destination de l’UE mais de pays tiers.
Un équilibre fragile
En France le prix à la production est légèrement au-dessus du prix des charges, « mais il suffit d’une petite étincelle sur un marché pour que cet équilibre soit rompu », prévient Thierry Pouch. L’inflation est en nette diminution depuis 2022, mais reste supérieure à la période d’avant covid. Malgré cette baisse la consommation alimentaire est en berne. Les problèmes de pouvoir d’achat face à l’envolée des prix des biens alimentaires a fait reculer la consommation de -3,8 % en un an.
En parallèle le nombre d’agriculteurs baisse (400 000 exploitations en 2020), et particulièrement les éleveurs (-80 % de fermes en bovins lait par rapport à 1988). L’Institut de l’Elevage prévoit une baisse de 2 à 3 % par an des élevages bovins. La décapitalisation touche particulièrement la Bretagne pour les vaches laitières et le sud ouest pour les vaches allaitantes.
Un accord controversé
L’UE a signé plus de 50 accords commerciaux bilatéraux ou régionaux. Très critiqué, celui avec le Mercosur pourrait être signé prochainement. « Les contingents que l’UE accorde au Mercosur sont plus élevés que ceux que le Mercosur nous accorde », constate Thierry Pouch. De plus, les coûts de production globaux en viande bovine sont inférieurs de 40 % à ceux de l’UE. Les normes sur les produits phytosanitaires sont aussi différents : 37 substances utilisées dans les pays du Mercosur sont interdites en Europe. De plus les limites maximales de résidus aux produits importés sont plus élevées que celles imposées dans l’UE.
Dans son opposition à ce traité de libre-échange la France a été rejoint par l’Autriche, la Pologne et les Pays-Bas. Mais elle a en face d’elle des pays qui défendent des intérêts industriels, comme l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal, favorables à cet accord.
Pour Thierry Pouch, « le bilan de notre agriculture est contrasté, mais il est loin d’être catastrophique ». La France demeure la première puissance agricole de l’UE (18 % de la production totale) et reste autosuffisante dans de nombreux domaines. Fin 1950 un agriculteur pouvait nourrir 5 personnes, il en nourrit plus de 100 aujourd’hui. « Il faut montrer l’efficacité de cette agriculture qui est aujourd’hui contestée », indique l’économiste. Une mutation vers un nouveau modèle est nécessaire, mais lequel ? Quelle que soit la stratégie adoptée, Thierry Pouch soutient que « l’agriculteur ne peut répondre à tous les défis tout seul, il doit être accompagné ».